
Extrait de la biographie de Simone, 90 ans et Claude. 92 ans : “Une vie à deux”
RÉCITS DE VIE
Malgré leurs occupations, j’ai passé la majeure partie de mon enfance avec mes parents. Je détestais les quitter, sans eux je m’ennuyais terriblement. Je leur étais très attachée même si on ne disait pas « je t’aime » comme maintenant, même si on ne se faisait pas de câlins… Il n’y avait pas de démonstration d’affection, ni de temps de jeux. Les parents nous aimaient à leur façon, nous avions ce qu’il nous fallait, nous n’étions pas malheureux.
Ma mère était disponible pour nous, nous étions toujours avec elle. Nous n’avons pas passé beaucoup de temps avec nos grands-parents, nous n’y sommes jamais allés en vacances puisqu’ils habitaient auprès. Mon père était plus strict. Je n’en avais pas spécialement peur, mais je savais que je devais filer droit. Pour moi, cela était normal, je n’ai jamais eu envie de me rebeller, loin de là, je n’ai même jamais pensé de mal de lui, j’ai toujours accepté son autorité. (…)
Mon père était un vrai patriarche. Un homme de caractère qu’il ne fallait pas contrarier, qui croyait à l’esprit d’entreprise, au fait de ne dépendre de personne et surtout pas de l’État (il disait d’ailleurs qu’il se ferait sa retraite tout seul !). Pour lui, tout ce que faisait C. était extraordinaire, moi je n’étais « qu’une fille ». À part quelques rares fois où j’ai pu l’accompagner chercher son sable à la drague sur les bords de Loire à B., je n’allais jamais sur ses lieux de travail. Pour mon père, les femmes étaient faites pour rester à la maison, faire à manger et repriser les chaussettes. Je me rappelle encore de la fois où nous sommes allés à M. pour un match de football (papa avait l’habitude de transporter l’équipe dans son camion Hotchkiss, à même le sol, il n’y avait pas de sièges capitonnés !). Je ne sais pas pourquoi j’étais là, car ce n’était pas vraiment dans ses habitudes de m’emmener avec lui, et encore moins pour ce type d’événements. Bref, à un moment, C. se prend un but, une femme a applaudi et ri à côté de nous. Papa lui a lâché : « vous feriez bien mieux d’aller repriser vos chaussettes ! ». J’en rigole parce que c’était comme ça ! C’étaient les hommes de l’époque… enfin peut-être plus certains que d’autres. Mon beau-père était moins strict, je me suis finalement permise plus de choses avec lui qu’avec mon propre père. Ce dernier ne mettait pas à l’aise, j’ai eu peu de conversations avec lui. On dirait aujourd’hui que c’était un macho ! Il n’avait aucune ambition pour moi. Il a décidé que j’irai en apprentissage de couture chez tante C. pour me caser et que j’aie du travail, je n’ai pas eu grand-chose à dire. D’un autre côté, je n’avais pas d’envie particulière non plus, alors j’ai laissé faire. « On n’avait pas tellement de vouloir à l’époque ».
Les femmes n’étaient pas ses égales. Même sa sœur aînée avec laquelle il ne s’entendait pourtant pas mal, mais dont il se sentait supérieur. En revanche, elle pouvait lui demander n’importe quoi, il était toujours prêt à l’aider, à lui rendre service. C’était son caractère. Maman le craignait un peu aussi, elle ne s’exprimait pas trop. Lorsqu’il venait manger, ou qu’il allait chercher la voiture pour partir quelque part, il fallait systématiquement se dépêcher pour que tout soit prêt, qu’il n’ait pas à attendre. À table, il était le chef, il ne se relevait jamais. Ma mère n’a jamais rempli un chèque de sa vie. Elle ne prenait aucune initiative. Pourtant, je sais qu’ils se sont mariés parce qu’ils se plaisaient, il n’y a pas eu de mariage arrangé, au contraire, leur union a sûrement été perçue comme une mésalliance… Le nom R. était déjà réputé, et ma mère issue d’une famille de domestiques…Pour autant, je n’ai jamais vu mes parents se témoigner de l’affection, cela ne se faisait tout simplement pas. Je sais néanmoins qu’après le décès de maman, papa embrassait chaque soir sa photo encadrée… les traces de ses lèvres étaient visibles sur le verre